Les grands musées espagnols ont consacré d’importantes rétrospectives à son œuvre de peintre : Fondation Joan Miro et MACBA à Barcelone, Musée Espagnol d’Art Contemporain à Madrid, IVAM à Valence… De multiples distinctions et, ces dernières années, d’innombrables hommages lui ont été attribués en Espagne : prix National des Arts Plastiques (1980), Prix Caceres (1981), Prix National des Arts Visuels de la Catalogne (2003), Prix de la Fondation Royale de la Monnaie (Madrid 2006), Médaille d’Or du Mérite artistique de la Ville (Barcelone 2008)…
Albert Ràfols-Casamada est respecté comme un maître (au meilleur sens du terme) pour avoir fondé avec Alexandre Cirici (en 1967) et dirigé l’école EINA, devenue l’une des deux plus grandes écoles de beaux-arts, architecture et design de Barcelone. Cette école est célèbre pour l’enseignement qu’elle dispense mais aussi parce qu’elle fut un véritable foyer de résistance au franquisme.
Comme l’indique le titre de son journal D’un mateix traç (D’un même trait), Ràfols-Casamada a été toute sa vie autant poète que peintre : en 2000, l’édition Enciclopedia Catalana publiait un volume regroupant plus de 800 poèmes sous le titre « Signe d’air », œuvre poétique 1939-1999.
En France, plus d’une trentaine d’expositions personnelles ont présenté sa peinture (Musée Ziem à Martigues, Musées de Dieppe, Brou, Tourcoing…, centres d’art à Bordeaux, Compiègne, Châteauroux, Toulouse, Royan, Hennebont, Le Mans, Hôtel des Arts à Toulon…) représentée à Paris par la Galerie Clivages de 1982 à 1998 puis par la Galerie Vidal – Saint Phalle de 1998 à aujourd’hui. Plusieurs centaines de ses œuvres figurent dans les collections françaises. L’École Normale Supérieure de Lettres et Sciences Humaines de Lyon (pour laquelle l’artiste a réalisé une peinture monumentale) lui a décerné en 2008 le titre de « Docteur Honoris Causa ». En juin 2009 une double exposition lui rendait hommage à Paris, exposition couplée avec un colloque « Ràfols-Casamada, peintre et poète » au Centre d’Études Catalanes.
De 2006 à 2009 une exposition Ràfols-Casamada, Painting 1950-2005 conçue par J.F Yvars a été présentée à Guadalajara, Mexico, New -York, Rome, Lisbonne, Prague, Tirana.
Repères
Né à Barcelone le 2 février 1923, Albert Ràfols-Casamada est mort à Barcelone le 17 décembre 2009.
Le grand-père et le père d’Albert Ràfols-Casamada étaient peintres. Albert Ràfols, portant le même prénom que son père, adjoignit à Ràfols le nom de sa mère : Casamada. Il rencontre à 22 ans Maria Girona, fille d’architecte et peintre elle aussi, qui sera sa femme et sa compagne jusqu’à la fin.
Années de formation
Albert Ràfols-Casamada commença des études d’architecture mais il avait appris à dessiner avec son père et s’était intéressé très jeune (par la lecture de revues) à des œuvres de Picasso, Braque, Miró et Torres-Garcia. Dès 1946 il participe au groupe Els Vuit et dès 1948, à la fondation du Salon d’Octobre : il décide de se consacrer entièrement à la peinture. Entièrement aussi à la poésie ! Car, dès l’âge de 15-16 ans, il avait été attiré par la poésie de Garcia Lorca, Salvat-Papasseit, Carles Riba…Ses admirations iront plus tard à Stéphane Mallarmé et à Pierre Reverdy, à Wallace Stevens, à Giuseppe Ungaretti ou au poète catalan J. V. Foix. Écrivant toujours en catalan, il mènera toute sa vie la double activité de peintre et de poète comme l’exprime le titre de son Journal : D’un mateix traç (D’un même trait). La réalisation de gravures pour de nombreux livres atteste cette double appartenance, ainsi Le Surcroît, poème d’André du Bouchet, ou Policromia o La Galeria dels miralls, dont il est à la fois l’auteur et l’illustrateur.
1950-1954 Il obtient une bourse du gouvernement français et se rend à Paris où il fera deux séjours de deux ans. En même temps que la poésie française, il connaît mieux le cubisme de Picasso et de Braque et surtout les œuvres de Matisse et de Schwitters. Un voyage en Belgique et Hollande lui fait voir des peintures de Van Gogh, de Mondrian et du groupe De Stijl.
Sa peinture évolue vers l’abstraction. L’influence de Nicolas de Staël apparaît.
1955-1958 A son retour en Espagne, deux importantes expositions, à Barcelone et à Madrid, lui font découvrir la peinture nord-américaine, tout particulièrement la couleur de Rothko. Ràfols évoquera régulièrement ces influences qui ont peu à peu façonné son langage et qui lui auront permis d’allier à une extrême sensibilité une définition rigoureuse de l’espace pictural.
Années 60 : attiré d’abord par « la nudité vide de grands espaces de couleur », Ràfols-Casamada introduit dans ses tableaux des objets, des collages, des « hommages » à la société qui lui permettent de dialoguer avec elle dans ce qu’on a pu appeler un « pop art catalan », plus harmonieux et construit que le pop art américain.
Années 70 : architecture, espace, couleur, les préoccupations majeures de sa peinture lui donnent une vraie singularité. Son style se dépouille et s’oriente vers une « peinture claire » dont la matité évoque la fresque. La lumière y joue un rôle essentiel. Années 80 : comme dans les Quatre Saisons que Ràfols-Casamada peint pour les voûtes de la Mairie de Barcelone, le format de ses œuvres grandit, l’espace semble traversé d’air. La couleur est l’élément moteur, émotionnel de ses tableaux. Le bleu prépondérant (on parle alors d’un « bleu Ràfols ») suggère la présence de la mer, la Méditerranée, essentielle pour ce peintre-poète, lecteur passionné d’Homère qui séjourne régulièrement à Cadaqués. Victoria Combalia a pu qualifier de « constructivisme sentimental » le propos de Ràfols en cette période. On peut évoquer aussi la poétique de Marcel Proust et l’esthétique de Pierre Bonnard: l’émotion d’un moment vécu, souvent heureux, est transposée sur la toile par l’association de touches multiples, souples et vibrantes et la science de la construction. A partir des années 80, l’œuvre de Ràfols-Casamada fait l’objet d’une reconnaissance internationale et elle exerce désormais une influence déterminante sur beaucoup d’artistes. Toute une génération d’élèves est formée par l’école EINA que Ràfols dirige ; ces élèves, devenus plus tard des artistes ou architectes célèbres, lui rendront souvent hommage. A Barcelone d’abord, puis dans la plupart des musées espagnols, de vastes expositions font apparaître l’évolution considérable, et pourtant sans rupture déclarée, dans une œuvre ouverte et abordable bien que savante.
Années 90 : C’est sans doute la période la plus créative de l’artiste et, selon son propre mot, la plus « imaginative ». La couleur s’approfondit, les terres de Sienne, les ocres supplantent peut-être les bleus, eux-mêmes plus sourds, plus intenses. Les « objets » sont devenus des « présences » dans un monde toujours sensible et pourtant plus abstrait, basculant progressivement dans le souvenir du « Dehors » et dans ses jeux de « Reflet ». Il faut alors, pour certains tableaux de Ràfols-Casamada, rappeler son admiration majeure pour Vélasquez.
Il serait bien sûr artificiel de séparer les décades, on ne doit pas isoler les années 2000 du reste de l’œuvre. Le peintre introduit alors des contrastes aigus de rouge et de jaune vif, des saccades, des rythmes rapides et musicaux. Sur le champ de la toile, les objets sont dispersés avec encore plus d’audace. Plus de solitude et de distance entre eux ? Cette volonté que « la couleur parle plus haut » va pourtant de pair avec une prédilection unificatrice (par sa douceur ou par sa nostalgie), pour des fonds gris, souvent clairs comme les gris de Morandi. Et avec une liberté que l’architecture n’a plus à canaliser car c’est là, certainement, le Ryhme soutenu de l’Espace ouvert.
Jean-Pascal Léger
Certains des dessins exposés par la Galerie Vidal-Saint Phalle du 8 septembre au 6 octobre 2012 ont été présentés dans une exposition itinérante dans les institutions de Catalogne de 2010 à 2012 (Fundació Palau, Diputació Barcelona).